Toute à lui - volume 5 (French Edition) by Brooks Emily

Auteur:Brooks, Emily [Brooks, Emily]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions addictives
Publié: 2013-06-24T22:00:00+00:00

3. Ce qu'on ne partage pas

Que partage-t-on quand on fait le choix de ses désirs ?

Je me posais la question en rentrant chez Fabien, la solitude du dimanche soir attisant mes pensées. À quoi songeait Rose quand elle rentrait tard la nuit dans les rues de Pigalle ? À sa fille dont elle n’a jamais été la mère ? À ce ténor dans l’économie de son amour pour elle ?

Je pensais bien sûr à Adrien. À Camille aussi. Était-il capable de la porter dans ces épreuves ? Leur lien était-il assez fort pour ça ? Trop d’éléments me manquaient pour imaginer la vérité. Ce que je savais, c’est qu’il ne m’appelait pas et j’avais l’impression que Camille, plus fragile, allait devenir plus dangereuse. Je me disais qu’Adrien n’allait pas réapparaître. L’idée d’Adrien m’obséda alors. Je tournais dans l’appartement, essayant d’avancer dans les portraits que je devais écrire à partir des images d’Esther, sans aucun espoir de me concentrer. Je n’y arrivais pas. Je sentis le poids d’une menace, sourde, impossible à taire. Je pensais au courage triste de Rose, à la ténacité de son désir, et me dis qu’il fallait appeler Adrien, entendre sa voix, pour deviner quelque chose. Je comptais jusqu’à trois, plus cinq, puis dix. Et me promis d’avoir la force de l’appeler. Je me donnais une minute, puis deux, puis dix, et je pris mon téléphone, le reposai prétextant qu’il était trop tôt, trop tard, l’heure de diner, l’heure de… Et puis non, c’était le moment, le juste moment pour moi. Car mon cœur était bien trop à vif pour en faire quelque chose. Évidemment, il n’allait pas répondre. Je me demandai si je laisserais un message, quelque chose de bref. Et puis non, au bout d’une sonnerie, sa voix.

– Alice, c’est vous ? Je suis bien heureux de vous entendre. J’aurais aimé vous entendre avant, vous parler. Mais comment dire, une succession de… Enfin, je vous dirai tout ça de vive voix. Oui, votre voix est le signe même de la vie. Parlez-moi…

Sa voix. Juste sa voix me redonnait le goût de tout. L’entendre me suffisait. J’imaginais tous les gestes, les regards qui rendaient le reste plus vivant encore. Tout reprenait vie en moi. Avec ses mots.

– Alice, vous avez appris pour Camille, n’est-ce pas ? Je ne peux pas vous parler longtemps. Vous comprenez, je suppose. Mais je passerai demain à la librairie pour vous embrasser. Dormez bien. Et je vous embrasse encore.

Ses baisers m’endormirent presque. Je répétais chacun de ses mots ; Camille avait dû écourter la conversation, mais cet échange était vrai, amoureux aussi ; je doutais de moins en moins de l’amour qu’Adrien ressentait pour moi. La perspective de le voir le lendemain donnait un sens à toutes ces dernières heures. Rose, et le reste… Quelque chose prenait enfin sens dans ma vie. Je tenais à Adrien, infiniment, comme je n’avais jamais tenu à rien d’autre. Mes errances continuelles avaient, jusqu’alors, donné naissance à des événements sans contours, dans lesquels je me laissais porter.

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